Tour de France des expériences d\'éducation autrement

Tour de France des expériences d\'éducation autrement

Travail en équipe et cohérence pédagogique

      "Etre un innovateur dans l'éducation, c'est facile ! Chacun est maître dans sa classe et il y fait ce qu'il veut tant que ses inspections se passent bien"... Combien d'innovateurs se sont épuisés tout seuls ? A quoi ça rime de faire vivre certaines valeurs aux enfants pendant une année et de les relâcher l'année suivante dans une classe où on ne lui demandera plus son avis, ou on ne lui demandera plus le même type d'autonomie ... ? Quel recul pour l'enseignant ? Quels lieux de réflexivité, de retour sur sa pratique ? Comment apprendre aux enfants à coopérer lorsque l'on y arrive pas entre adultes ? Faut-il et peut-on coopérer avec tout le monde ?

A l'école de l'API (privée, pédagogie institutionnelle), sur les neufs adultes, sept sont là très souvent et ils sont donc amenés à partager plus qu'un simple travail, mais aussi des moments de vie ; ce qui est notamment dû au fait que l'école soient un internat. Les personnalités sont très différentes et le degré de connaissance et de ralliement à la pédagogie institutionnelle le sont aussi. Seulement, même si certains moments, surtout en fin de semaine, peuvent faire ressortir quelques tensions dues à des caractères très affirmés, jamais les adultes ne seront incohérents devant les enfants, ni ne donneront une image négative d'un autre adulte ... Ce ne sont pas des « surhommes ». (quoique !), ils restent malgré tout humain, mais ils ont su créer les outils qui leurs convenaient pour arriver à coopérer pour offrir à ses enfants une éducation cohérente. Mais quels outils ont-ils pu imaginer ? Rien d'extraordinaire, après tout, ils ont juste décider de se plier aux mêmes principes que ceux qu'ils essayent de communiquer aux enfants : ne pas régler un conflit « à chaud », sous le coup de l'émotion mais régler le problème ensemble, plus tard ; les seules grandes règles de l'école « respecter l'autre, l'écouter, ne pas se moquer » … Ils font tout simplement un conseil avec cahier de critiques, propositions, urgences, demandes, félicitations … (cf conseil dans catégorie Apprendre … la coopération). « On ne peut pas demander aux enfants de faire quelque chose que nous ne sommes pas capables de faire nous-mêmes ». Même si la vie ensemble n'est pas forcément facile tous les jours,( personne n'est obligé d'apprécier de la même manière tous ses collègues …), l'école de l'API a réussi ce pari un peu fou mais tellement important de faire travailler ensemble, et pas côte à côte, des personnes très différentes. Des leviers ? une équipe peu nombreuse, beaucoup de temps passer ensemble, beaucoup de temps de réflexion pédagogique ensemble (week-ends, réunion du lundi soir…), le principe des conseils qui amènent chacun à expliquer aux autres notre façon de nous comporter en telle ou telle situation … Bref, des personnes qui se connaissent ! et c'est à mon avis, la clé de la coopération.

A l'école Michael (privée, pédagogie Steiner), la réunion du mardi soir commence par un temps de chorale entre tous les enseignants (jardin d'enfants, primaire, collège, lycée) qui le souhaitent. Ensuite, une personne présente un écrit de Steiner sur lequel tous sont censés s'être penchés préalablement, puis s'ensuit un temps de présentation de son travail dans une certaine matière par un enseignant, par exemple « j'aborde la poésie en passant par le travail du corps », et enfin, la réunion se termine par un temps organisationnel. Même si le fond parait forcément devoir être la parole de Steiner, il n'empêche qu'ils essaye de faire du lien entre tout ce qu'il font et une réflexion « qui sorte le nez du guidon ». Je ne suis personnellement pas très sensible aux chants de Noël à quatre voix pour créer du liant entre les différents enseignants, mais dans une école où l'artistique a une telle place, cette chorale n'est pas la chose la plus surprenante. Enfin, le fonctionnement associatif fait que la réunion est menée par un président dont les méthodes démocratiques ne sont pas forcément en adéquation avec les miennes … Je n'ai pas plus pris le temps d'en parler pour savoir si elles convenaient à tous ; je reste néanmoins persuadée que la démocratie est très compliquée, mais que de simples détails pourraient parfois suffire à rendre la décision plus consensuelle. De simples moyens d'animations, de simples principes d'animation partagée, d'ordre du jour co-construit …

A l'école Curie (publique, pédagogie Freinet), le lundi midi, une heure de réunion permet de régler ensemble certains problèmes et l'après-midi, quatre classes se décloisonnent pour laisser entrer des groupes mixtes en âges et habitudes d'apprentissages, ce qui témoigne d'un travail entre quatre enseignants. Cependant, quand on se promène dans la salle des maîtres, on peut à son gré lire la charte de la coopération écrite par le groupe Freinet 93 et affichée à la vue de tous, ou prendre la peine de discuter avec plusieurs enseignants à la fois, au risque de réveiller un des débats où ceux que certains appellent les « Freinet-iques »qui ont chacun une façon différente d'utiliser les « outils » de Freinet, les puristes de la pédagogie institutionnelles et surtout, les « anti-Freinet », vont s'engager dans une discussion (dispute ?) qui n'arrivera jamais à remettre en cause les convictions et positionnements fortement marqués de chacun. Néanmoins, lorsque l'école était « à feu et à sang » et qu'une directrice adepte des préceptes de Freinet a repris l'école et invité ses collègues Freinetistes aussi à la rejoindre, le projet était fort, mais le mouvement des enseignants fait que l'on est muté selon un certain nombre de points et non un degré d'adhésion aux valeurs défendues par le projet de l'école dans laquelle on arrive. Et très vite, le projet qui existe toujours s'est vu confronté aux différentes manières de faire vivre Freinet, voire de ne pas le faire vivre du tout.

A l'école Calas-Dupont (publique, cycles), on ne décloisonne pas qu'une fois par semaine, mais plusieurs fois par jour ! Les enseignants sont donc obligés de travailler ensemble et ils sont absolument volontaires pour le faire. Un temps est prévu chaque semaine pour organiser ce décloisonnement. Les réunions entre tous les enseignants sont préparées par une coordination de deux personnes différentes chaque année et qui arrivent à se dégager du temps pour ça, puisque l'Education Nationale n'octroie pas plus de moyens. Le projet n'a que quatre ans, contrairement à l'école Curie où il a dix ans et à l'école Decroly (ci-dessous) où tout n'est pas rose non plus dans la communication entre adultes mais ceci depuis environ soixante ans… Je ne souhaite pas à l'école Calas-Dupont de perdre cette force qu'est un travail en équipe aussi sain et constructif, mais chaque année, l'école se trouve menacée par le problème du mouvement des enseignants et pour pallier à ce problème, l'école a demandé la création de postes à profils où les enseignants sont embauchés sur entretien. Je pense sincèrement qu'une préparation d'un an du projet d'éducation porté par les enseignants et d'autres avant de le mettre en pratique, que la coordination tournante, que l'engagement que tu prends en venant travailler à Calas-Dupont de donner du temps … contribuent , et contribueront, à un tel travail en équipe. Cependant, il serait certainement intéressant de parler dès à présent des différences visibles lorsque l'on passe du temps dans chaque classes dans l'utilisation des « outils » de pédagogie institutionnelle ou de Freinet ; les différences lorsque l'on discute avec chacun sur la conception de la classe de cycle et du décloisonnement …, avant d'en arriver à un état de non-progression possible comme dans les autres écoles. Etant donné l'état d'esprit de vouloir évoluer, s'évaluer …, je pense que ces échanges sont possibles.

A l'école Decroly (publique, pédagogie Decroly), on souhaite apprendre aux enfants une certaine forme de socialisation où le groupe a une importance primordiale. On y fait beaucoup de travail de groupe et le Conseil est aussi une pratique répandue dans les classes, même s'il peut prendre des formes très diverses. Par contre, une réunion du mardi soir et du temps passé dans la salle des enseignants et à discuter avec beaucoup d'entre eux suffisent à mettre au grand jour un clivage entre ceux qui souhaitent continuer à lire Decroly au pied de la lettre et ceux qui souhaitent se baser sur les valeurs decrolyenne et les adapter au goût du jour. Pour la réunion pas de simples règles telles qu'à l'API « respecter l'autre, l'écouter, ne pas se moquer », pas vraiment d'écoute mutuelle, pas de règles de prise de parole, pas de « leader » de réunion, pas de coordination tournante qui anime l'ordre du jour … D'énormes frustrations de toutes parts … Néanmoins, l'originalité de l'école Decroly d'être un établissement alliant maternelle, primaire et collège permet un travail sur les passages difficiles que sont l'entrée en CP ou en sixième dans le système classique. En effet, en CM2, les décloisonnements se font avec des professeurs de collège, certains cours ou modules sont assurés par deux enseignants dont un du collège qui vient dans la classe aussi, le « programme » peut être étalé sur les différentes années puisque la sixième classique est surtout le temps de la révision, elle peut devenir là le lieu d'apprentissage de certaines notions qui n'auront pas été vues en primaire. Ceci est facilité par le fait que les enfants en sixième dans ce collège sont ceux en CM2 dans cette école l'année précédente et pas des enfants de nombreuses écoles différentes.





13/01/2010
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